Toulouse, Albi, Gaillac (fin)

Toulouse, Albi, Gaillac (fin)

Dépaysement, et cheminement vers l’immersion.

Ce sud, c’est un amoncellement de briques, un ballet continu de volets extérieurs baillant, le tout cadencé aux pans de bois. Méconnus à Lyon, ils suffisent à étreindre le visiteur d’un sentiment de profond dépaysement. Albi et Gaillac en donnent une très chaleureuse expression et même encore quand le soleil s’oublie de l’autre coté des nuages.

Glissant de Toulouse, capitale de la nouvelle grande région d’Occitanie, jusque vers Albi, puis de là vers Gaillac, respectivement préfecture et sous-préfecture du département du Tarn, la progression vers un tissu moins densément bâti appelle à un nouveau type de contemplation, fonction des variations de l’environnement urbain.

Albi, maisons pans de bois enduits ou non, avec un style tout renaissant pour celle de droite.

La brique y reste la caractéristique majeure, quoique, contrairement à Toulouse, couplée aux pans de bois, elle fait une figuration plus prégnante car plus uniment inscrite dans la simplicité des savoir-faire traditionnels.

Albi, Rue Puech Berenguier.

L’ancienne cité d’Albi rayonne autour d’un monstrueux groupe épiscopal bâti à partir du XIIe siècle et de vastes édifices voisins construits avec lui dans un esprit de cohésion, le tout interprété dans une échelle époustouflante.

Albi, Sainte-Cécile.

Il faut le dire, les prétendus mastodontes médiévaux de nos métropoles françaises sont une imposture qui s’écraserait le nez contre les éperons de sainte-Cécile et s’humilierait à la compétition. Et c’est une semblable démesure au-dedans de la cathédrale où une bonne partie de la décoration gothique est conservée.

Une clôture gothique enserre le chœur.

Programme peint aux saveurs des châtiments infernaux et mobiliers concourent au sentiment pénétrant d’unité pour happer le visiteur et, suivant sa vocation primitive, l’édifier :

Fresques début XVIe siècle, Sainte-Cécile d’Albi.

En sortant, ébloui par tant de splendeurs, je déplore le manque de soleil, et me console en me disant, comme à chaque fois qu’un désagrément vient gâter mon séjour, que je reviendrai.

Palais de la Berbie, dans le voisinage de la cathédrale d’Albi.

Constructions plus modestes, de moindres hauteurs et néanmoins de qualité, les environs directes de ces grands édifices revêtent un caractère qui ne départ nullement ces constructions-ci, centrées sur la grande place.  Plus qu’à Toulouse ce tissu environnant parait en connexion avec lui, et la chose se vérifie davantage encore à Gaillac. C’est évidemment une propriété des petites villes, elles que moins de bouleversements ou de réaménagements ont affectées au cours des siècles.

Albi, palais de la Berbie.

Et si ces villes accusent l’épuisement, l’effarement sidéré d’un séjour de près de mille ans sous l’ombre d’un seul édifice, un monstre aux murs cyclopéens, une éclipse de pierre contre laquelle les générations se sont bornées à entasser des siècles de vie, à la chandelle, c’est précisément dans cette faiblesse d’apparence qu’elles puisent leur force. Cette hiérarchisation de décor qui profile les contours d’une certaine société, profite au sentiment d’appartenance et d’unité des espaces en les structurant à leur tour. Non pas que les rideaux de la scène se soient assoupis d’inertie, figés dans la poussière, mais qu’en s’écartant toujours harmonieusement à partir d’un repère fixe ils se manifestent dans le respect latent de l’ordre des grandeurs qui les règle.

 

Albi, Le Tarn depuis le palais de la Berbie.

Les berges là encore sont la démonstration des trésors qu’une petite ville seule est en mesure d’offrir aujourd’hui : Si les confins des espaces visibles traduisent de véritable limites urbaines, ils ne campent pas de lignes antagonistes mais de sereines franges virides qui annoncent à l’horizon paisible la campagne.

Sans dire qu’elles brossent le tableau d’une époque homogène elles affirment une unité dans l’agencement des espaces sans offusquer le regard.

Le Tarn, Albi et la rive droite, au débouché des ponts, quartiers de faubourgs.
Le Tarn, Albi, vu depuis sa rive droite cette fois.

Nombreuses sont en France ces petites villes aux cours d’eau tranquilles logés sous de vieux ponts, que ni les déboires de la navigations ni les fracas des bombardements n’ont pu chasser. Mais c’est là un apanage de petite ville seulement. Et, au prix d’un bond d’un siècle et demi on prend la main à l’imagination pour musarder au long de la rive gauche de la Saône lyonnaise, faire face au fouillis urbain qui s’imposait jadis aux berges lyonnaises, à Saint-Georges ou à Bourgneuf de Vaise dans les années 1840 encore, avant la construction des quais, rectilignes et sobres.

A Gaillac, où la modicité s’appréciera à sa juste valeur, l’eau redevient miroir d’un cadre de vie intime :

Gaillac, entre mousse et brique.

Dans les rues enfin le sentiment d’immersion, d’Albi à Gaillac, va s’augmentant : des rues plus serrées, davantage de pans de bois, et davantage de ces volets ouverts aux quatre vents.

Ici la comparaison avec Toulouse n’a que peu de sens, et pourtant je juge Albi (et plus encore Gaillac), ville où l’intimité a préservé ce goût du pittoresque qui ne peut être condensé à l’identique dans une grande cité, admirable sous ce rapport à l’intime.

La concentration du pan de bois aussi y est déterminante. J’ai lu dans l’ouvrage de Madame Nègre qu’à l’aube de la Révolution française le tiers des façades toulousaines encore était de pans de bois. Trait supplémentaire qui met en évidence la croissance des grandes villes sur les petites, masque déchu de pittoresque et qui laisse songeur sur la figure qu’une ville comme Toulouse, ou comme Paris, pouvait exhiber en ces temps lointains.

Toulouse. Rare alignement homogène de pans de bois.

 

Gaillac et Albi s’établissent en lacis de rues assez insaisissables. Cette intimité en ajoute encore au gigantisme des colossaux sanctuaires et leurs tours dont les silhouettes donnent le la, grave, et le point de fuite :

Albi et son inévitable cathédrale Sainte-Cécile.

 

En comparaison voici Toulouse, moins impressionnante ici dans ses effets à cause de la grandeur des espaces environnants plus nivelés (et qui n’est d’ailleurs pas une règle) :

Toulouse, perspective sur le clocher des Augustins.

 

Gaillac et Albi partagent avec Toulouse cette absence d’orthogonalité trop stricte de plan, qui réserve ses surprises, déjoue les habitudes et crée une désorientation qui est un sel au plat des découvertes. En comparaison  on jugerait Lyon fort convenue dans le tracé de ses rues et l’articulation de son réseau viaire. Cela, au reste, c’est bien lyonnais et un bond de quatre siècles n’y ferait rien, car si le préfet Vaïsse a amené la respiration des grands boulevards il n’a pas inventé une traitre ligne à la mesure compassée des rues, lesquelles avant lui déjà s’ordonnaient au fil de la Saône avec le même sens de la discipline.

Mais sur un point pourtant Lyon compense avec une propriété qu’on ne retrouve pas à Toulouse : le relief.

C’est un aspect important car il influe sur les perspectives, compose utilement les panoramas, la façon de considérer la ville. A Albi ou à Gaillac la ramification des espaces, la pente ajoute à l’impression de spontanéité, il ménage d’entrainantes perspectives et coude d’épineuses questions d’orientation pour le plus grand bonheur de la balade.

Albi, le sens de l’alternative et du pittoresque.

A  Albi la complexité du réseau de rues semble s’augmenter d’un modeste réseau de circulation complémentaire comparable aux modes de circulation existant à Lyon dans nos traboules (qui mettent en communication plusieurs immeubles). Il m’a permis de circuler d’une rue à une autre l’empruntant. (mais j’ignore s’il m’est permis d’élever ce cas en généralité).

Même alternative dans un passage intérieur, où à ciel ouvert la possibilité s’offre de circuler d’un coté ou de l’autre.
Même endroit, d’un peu plus près.

 

Gaillac est une ville dont le cœur de vie fait d’une série d’arcades une place charmante aux solides assises spatiales :  la place du Griffoul. Elle est typique et j’ai même eu la chance d’y surprendre le soleil :

Gaillac, la rue Portal depuis la place du Griffoul.

Les rues qui y conduisent inspirent la même harmonie, peu d’éléments intrusifs nuisent à l’imprégnation des lieux. Enfin de nombreux grands édifices ponctuent un réseau viaire parfaitement structuré autour d’eux. En un mot le tissu urbain remplit le rôle exact d’écrin aux bijoux qu’il entoure : social et architectural.

Place du Griffoul.

L’attrait d’une petite ville comme Gaillac enfin tient à la modestie : une modestie qui n’est pas encombrante dans ses effets, mêmes les plus contemporains.

Albi, elle, m’a paru à l’inverse un peu plus gâtée par des constructions parasites. C’est une constante des plus grandes villes.

Albi du reste convainc par un pittoresque qui associe des ensembles modestes et homogènes à des édifices urbains privés d’exception. La ville compte en effet plusieurs hôtels particuliers dont la polychromie de composition rappelle Toulouse :

Albi, Hôtel Reynes, alliance du blanc de la pierre et du rouge de la brique.

Cette question de polychromie renvoie à un usage brillant de la pierre, imposé par la grandeur du parti architectural. Ici à l’hôtel Reynes la pierre n’est pas réservée aux seuls encadrements et modénatures mais à une prestigieuse galerie de pierre (fin XVIe siècle?) de style maniériste dont les amples claveaux prennent d’assaut le reste des moulures et défient ordonnance et composition :

Albi, Hôtel Reynes, cour.

 

Gaillac, moins dotée, réserve néanmoins quelques surprises dans le domaine des demeures aristocratiques :

Gaillac, hôtel particulier abritant aujourd’hui les archives de la ville.
Idem, une cour qui n’a pas à rougir devant celles du Vieux-Lyon.

Petit bémol pour Gaillac dont l’état d’abandon agit autant auprès du promeneur comme force d’inspiration romantique que comme navrant sujet d’alarme. Et c’est un fait que beaucoup de maisons se délabrent. Cette romance propre à charmer le visiteur ensevelit chacun de ses pas dans une belle mélancolie, surtout par un temps si gris. Trop irréversibles pourtant les atteintes dépassent le souhaitable même sous le rapport de l’agrément. Et sans doute gagnerait-on beaucoup à troquer plantes pariétaires, grilles rouillées, et enduits ravagés, contre autant de marques de soins.

Gaillac, murs lépreux.

 

S’ensuit naturellement pour Gaillac des considérations sur une valeur patrimoniale sous estimé ou au moins sous exploitée.

Gaillac, un actuel parking au sol bitumé doublé d’un lieu, on l’espère, en devenir.

 

Le monsieur chez qui j’ai logé m’a appris que la  disgrâce dont souffrait la ville était un mal que je minorais encore et dont il était témoin depuis de nombreuses années. Espérons que le temps ne portera pas un coup fatal à Gaillac.

Gaillac.Vestiges d’une maison effondrée faute d’entretien. Note : pour l’état de la maison avant démolition, voir  [1]

Au final je dois conclure en disant ceci que Lyon ne trouve pas à rougir devant la capitale occitane, trop différente d’elle pour être placée sur le pied d’une comparaison vraiment pertinente. Que dire alors de comparaisons avec Albi ou Gaillac..?

Eh bien qu’étrangement, le cheminement d’Albi à Gaillac m’a rappelé ce que j’espère en général d’un ensemble urbain :

La qualité d’implication de l’esprit et son attrait au spectacle de grands édifices doit beaucoup à la façon dont ils sont entourés. Lyon se rapproche parfois de Gaillac pour la modestie ses ensembles et de certains de ses grands édifices. Pris comme un tout ils créent des segments et des perspectives où l’envie de pénétrer est la plus forte.

Gaillac, une seconde avant le soir.

Et rappelons que le vieux-Lyon occupe un périmètre d’une grandeur exceptionnelle. Et c’est sans compter la diversité des quartiers inclus dans le secteur Unesco : pentes de la Croix-Rousse, Ainay, etc. qui attestent d’une richesse dans la complémentarité de leurs identités respectives.

Ces réflexions me ramènent à Gaillac ou à Albi, villes de moindre ampleur que Lyon et où ce degré de cohérence urbaine s’atteint plus aisément.  A Toulouse, il m’a paru parfois que la brique essayait vainement de remplir une fonction qu’à Gaillac ou à Albi elle parachevait avec brio grâce au pan de bois mais aussi grâce au traitement en relief des encorbellements. De la plus grande vers la plus petite, ce cheminement m’a permis d’approfondir un sentiment d’immersion obtenu par le rétrécissement des espaces urbains, l’augmentation d’une présence végétale moins encadrée, une spontanéité rustique, etc. mais où paradoxalement la notion d’édifice fait sens.

Gaillac, montée d’escalier depuis l’eau vers le centre.

Au cœur de ces intimités choyées le test du chat en la matière demeure un excellent indice : à Toulouse les chats peu nombreux se dérobaient efficacement à mes atteintes de photographe. A Albi ils prennent leur importance, a Gaillac enfin il y en avait tout simplement trop pour que mes mains trouvent d’autres occupations que de les caresser ou leur tirer les moustaches.

Chat toulousain.
Et son homologue albigeois.

 

Sans qu’il soit possible pour moi de définir la part que son délabrement joue dans l’alchimie, Gaillac réussit ce tour de pittoresque ambiant, presque mieux qu’à Albi, celui de saisir le visiteur et d’attirer son attention, même sur de vulgaires portions de rues du XIXe siècle :

Gaillac au XIXe.

Il y a quelque chose d’une véritable machine à remonter le temps dans le ruisseau de ces petites villes dont on suit le cours sans s’apercevoir du chemin accompli et en découvrant le cœur battant qu’on prend toujours place, au cœur d’une cité, vivante.

Albi…

Et de ces Villes qui offrent parfois dans leurs replis les plus intimes la félicité d’une fraîcheur perdue :

Gaillac. Vue rassemblant un pan de bois restauré, une bétonnière, un chien, un jet d’oiseaux et des baies romanes.

A Lyon, de retour, je suis venu caresser mes aspirations de village et de paix. Puis de là j’ai repris  la route des cheminées et des usines qui m’attendaient outre Rhône comme de leurs dernières heures.

Du reste, c’est promis, je reviendrai me perdre dans les rues de Gaillac et d’Albi.

Gaillac. Recoin choisi, fer forgé néo classique de style Restauration.

 

 

[1] Voir l’album suivant, en particulier le cliché suivant, indiqué par Mickisouris, que je remercie.

4 réflexions sur « Toulouse, Albi, Gaillac (fin) »

  1. Bonjour Pierre,

    Je viens de lire avec bonheur ce billet !

    Je trouve une fois de plus toutes vos réflexions très pertinentes. J’ai retrouvé avec plaisir des lieux que j’ai parcourus. Combien de fois je me suis perdue dans le centre d’Albi (en touriste ; je vivais à l’époque à Toulouse) !!! Vous avez très bien décrit et illustré cette particularité !

    J’ai adoré aussi le test du chat ! Je ne me l’étais jamais formulé de cette façon (pourtant j’adore les chats !). C’est vrai qu’ils sont associés aux lieux paisibles.

    J’adore aussi votre photo avec la bétonnière, le chien, etc, qui résume parfaitement toute la ville. Les bâtiments anciens, les travaux à faire mais qu’on fait avec de petits moyens et en prenant son temps, au milieu des animaux qui vivent en paix !

    Il y a aussi des détails que je n’avais jamais remarqués (par exemple des détails de bâtiments du XIXème). Vous avez l’oeil pour découvrir en peu de temps de petites merveilles !

    Bravo, bravo, bravo ! Continuez à nous faire faire de belles découvertes, y compris sur des lieux qui nous sont familiers !

    1. Merci 🙂
      Je suis historien de l’art, m’intéresser aux détails matériels et formels fait aussi partie de ma formation. Et c’est toujours un plaisir de lever la tête à chaque coin de rue.
      A ce sujet je dois dire que le « test du chat » n’est ni très sérieux ni très conventionnel, mais qu’enfin il parait intuitif et d’une certaine manière approprié comme vous l’avez justement souligné.

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