21 rue Alexandre Ribot, été 2021, de bonnes nouvelles
Comment se porte le villeurbannais par un temps si rafraichissant ?
Après ces petits épisodes caniculaires qui lui ont peut-être excellemment cuit le cuir chevelu, accueille-t-il au ciel les amoncellements pluvieux avec certains signes de fébrilité joyeuse ? Ira-t-il ce soir étancher sa soif de grands espaces et de vie sauvage en longeant les pelouses du parc Chanteur ainsi qu’un léopard ? D’avoir voulu soutenir trop hardiment le spectacle de la maison voisine s’affaissant au sol sans panache, mais plus encore sans permis de démolir tandis qu’il arrosait paisiblement son propre gazon, reçoit-il en ce moment, étonné, quelques escarbilles de béton incandescentes en pleine figure ? Et si, victime d’une météo moins clémente encore, l’écrasement de quelque funeste météorite radicalement anti métropolitaine lui programmait moins d’une semaine de sursis, consentirait-il malgré tout au maintien de ses vacances dans cette pittoresque petite Venise qu’est la rue Francis de Pressensé ?
Nous n’aurons pas les réponses à toutes ces questions car pour une fois cet article se propose de rester laconique. Aussi transportons-nous diligemment vers le quartier des Buers à Villeurbanne, où prendra place l’essentiel de cette narration.
Le lecteur ou la lectrice, indulgent-e, passera je l’espère sur la qualité toute relative des quelques clichés que je lui soumets. Comme il ou elle le verra sans doute, il s’agit d’une petite maison mal partie pour fêter son prochain anniversaire, surtout avec la santé.
La faute à un aimable molosse posté là les jours précédents sa démolition. Aboyant vaille que vaille contre tout ce qui pétait à moins de 500 mètres à la ronde de la place Strauss, il a rendu mes séances photographiques aussi conviviales qu’un discours de Jean Castex sous la pluie. On a su que ce déploiement de zèle visait à prévenir les risques de squatt. Pour le dire autrement, il s’agit d’un bâtiment auquel son propriétaire accorde une telle valeur qu’il se refuse à titre personnel d’y séjourner avant de l’avoir réduit en bouillie, et le fait ainsi protéger des atteintes de personnes qui y éliraient volontiers domicile en l’état. La société est bien faite.
Mais ne nous apitoyons ni sur les choses, ni sur les gens, dans ce monde passager où tout parait si contingent que rien ne justifie particulièrement d’alarme, surtout quand on est si pauvre qu’on a besoin de biaiser, de manœuvrer, passer comme un fil par un trou de serrure pour ne pas avoir à passer une nuit supplémentaire dehors. En s’armant contre ce fléau précis et défini non comme celui de la misère mais du squattage, ce maître d’ouvrage n’exerce rien moins que son droit le plus strict de propriétaire. Et, bien entendu, jamais il ne viendrait à l’idée de me livrer à une quelconque critique du droit de propriété qui, comme chacun sait, a été dicté par l’esprit saint changé en colombe au genre humain. Il est donc inaliénable et son autorité indiscutable.
En revanche la loi connaît d’autres champs d’application. Ici en l’occurrence dans un secteur qualifié Périmétre d’intérêt patrimonial par le PLUH, il ne saurait être question de construire ou de démolir selon son simple caprice de propriétaire burné. Tout simplement parce que cette reconnaissance prévaut et qu’elle implique un suivi rigoureux dès lors qu’on prétend intervenir matériellement dans son secteur. Cela vaut tout spécialement pour une maison dont l’intérêt, indéniable, l’état de conservation, remarquable, confère pleine justification au PIP.
Bien sûr, les exécutants tirent parti du flou des prescriptions afin de les tourner à leur avantage. Mais dans ce cas les pouvoirs politiques chargés d’évaluer la situation et la conformité de la demande font manifestement preuve de duplicité en accordant le permis. Car comment concilier la préservation d’un ensemble d’intérêt collectif avec le plus grand laxisme à l’égard de volontés quand elles s’expriment sous un jour profondément individualises ? Et qui est censé mieux répondre de la loi que la force publique ?
Mais puisque le PIP ne sert à rien, et surtout pas à préserver les éléments qui le composent, j’ai une proposition à faire : pourquoi ne pas leur substituer directement le fond du canal ou les talus du périph avoisinant? Ainsi sa la charge de sa conservation serait encore allégée.
En dernier lieu un permis de démolir se doit d’être lisible, sans quoi il ne remplit plus son office auprès des riverain-e-s, et nie avec plus d’éclat l’esprit de la loi. Un carton blanc sur lequel aucune mention n’est renseignée n’apprend qu’une chose à son public, c’est qu’il se fout éperdument de lui.
A travers ces propos, il ne s’agit évidemment pas de stigmatiser le comportement individualiste d’un individu précis. Son comportement ne traduit jamais qu’un effet de système dans une ville où l’acception du patrimoine, donc de l’intérêt général, se livre comme toujours dans sa dimension la plus rabougrie. Et ce petit événement tranquille n’est qu’à interpréter comme le énième épisode dans une ville où le productivisme urbain fait force de loi.
Aussi nous rappelons à cet aimable propriétaire qu’à l’instar de toutes et tous les habitant-e-s des Buers qu’il est convié à une visite du quartier organisée par l’association La Ville Edifiante à l’occasion des prochaines journées du patrimoine. Peut-être lui fournira-t-elle l’heureuse opportunité de découvrir les édifices qui ne sont pas encore démolis dans son propre quartier.
J’apprends également au public, qui n’aura plus la chance de l’admirer, que la maison détruite et dont il s’agit, avait été construite en 1940 au sein du lotissement Griffon, par l’architecte Mariaud. Élevée pour le compte de José Sanchez, manœuvre d’origine espagnole, elle rappelait avec brio le rôle de l’immigration dans la construction du quartier, et de la ville.
Avec ses faces ornementales visibles sur ses encadrements de baies et répétées sur son porche, ses fermetures en bois, sa grille métallique, elle constituait hélas une rareté à préserver plutôt qu’à abattre.
Bon vent à elle, et que la force du béton nouveau accompagne le futur projet, qu’il souffle sur cette bonne ville de Villeurbanne jusqu’à ce que mort s’en suive !
Quant à savoir, pourquoi depuis le début de la démolition en lieu et place du chien, on voit de jour comme de nuit un entrepreneur de langue turque, si zélé qu’il semble vouloir dormir dans sa voiture garée au devant afin de la surveiller, c’est un mystère qui trouvera peut-être sa résolution avant la fin des temps. Cela en tous les cas, les archives n’en parlent pas encore.
4 réflexions sur « 21 rue Alexandre Ribot, été 2021, de bonnes nouvelles »
Je suis une descendante de J. Sanchez qui a construit de ses mains cette maison pendant 18 ans!
Nous avons dû la vendre en 2019.
Nous avons vu qu’elle a été « rasée « et cela nous a profondément peinés. Mais qu’y pouvons nous?
Tout d’abord un grand merci pour votre témoignage.
Je suis tenté de penser que vous auriez encore beaucoup à m’apprendre sur cette petite maison qui était non seulement remarquable mais qui témoigne d’une époque hélas révolue où les gens pouvaient construire par eux-mêmes.
L’évoquer afin de reconsidérer les conditions de notre avenir en ville, voilà ce que nous pouvons faire….
Finalement on fait tout et n’importe quoi, même dans un PIP… A quoi sert-il donc ?
Sans doute à ajouter des couleurs au PLUH.