S’il est un propos dont j’espérais un jour trouver l’occasion d’un développement, c’est sans doute celui de mon rapport contrarié au monde des « marchands d’Art et de Papier ».

Contrarié dis-je, puisqu’en raison de ses maigres débouchés lucratifs, le secteur des vieux papiers reste largement dédaigné par la profession des brocanteurs. Ainsi souvent condamnés à la réclusion à perpétuité sur un étal, soumis à de désastreuses conditions de conservation, c’est à l’ombre de plus beaux objets que ces fragiles réceptacles de la mémoire jouent sans cesse leur avenir. Il me semble pourtant – et c’est malheureux à dire – que c’est à travers ce cadre d’expérience négligé, mais usuel, qu’acheteur et acheteuse puise cette espèce de supplément si particulier au charme de la fouille et de l’initiative. C’est le cas aux fameuses Puces du canal de Villeurbanne où il m’arrive de faire des acquisitions en matière de vieux documents et où aucun chineur, aucune chineuse n’ignore le frisson d’exaltation qui parcourt l’esprit, non à la vue de l’objet, mais du changement d’environnement susceptible d’annoncer déjà la trouvaille.

Bref, certain jour, aux Puces, il se trouve que je tombais sur un carton à dessins dont je pris le temps d’étudier le contenu sous l’œil insoucieux du marchand. Cet œil mercantile en effet ne se portait nullement vers la triviale scène dont j’étais le protagoniste, mais loin vers l’horizon, vers je ne sais quel Eldorado d’affaires et dont la vente de ses plus mystiques bibelots, seule, satisfaisait l’insigne promesse. Or, dans ce carton négligemment posé au sol, la présence parmi d’autres gravures sans intérêts de plusieurs crayonnés au tour naturaliste et par ailleurs signés et datés ne pouvait manquer de m’interpeller. Je distinguais une trentaine de papier, de divers formats, représentant essentiellement le Bugey dans les années 1860-1880.

Redoutant un prix prohibitif, je faillis renoncer à le demander au vendeur qui me faisait l’effet d’un coriace gaillard. Fort heureusement, retenu par la crainte de voir un ensemble d’une telle qualité et d’une telle cohérence dépareillé et morcelé,  j’osais aller plus loin.

Voici donc, en exclusivité, une reconstitution d’échange :

Moi : -Je vous aurais bien pris tous les dessins au crayon. A tout hasard, vous savez si vous les avez eu avec le reste de la pochette qui les contient et donc aussi avec les gravures ?

Même si les pièces que j’avais écartées me paraissaient sans lien avec les crayonnés, j’avais posé la question par acquit de conscience, de sorte à pouvoir me positionner avec plus de clarté sur la possible cohérence historique de l’ensemble et dans une éventualité d’élargir mon achat. Tout marchand n’aime guère être mis en défaut sur la connaissance de sa propre marchandise, ce qui constitue malheureusement une situation inévitable dès lors qu’il ne s’y intéresse pas…

C’est donc par un grognement de nature à forcer le respect à un ours des cavernes qu’il me signifia qu’il avait bien recueilli tout ceci ensemble il y a bien longtemps, d’ailleurs il ne savait plus quand car ça n’avait aucun intérêt. Alors, je lui renouvelai mon intention de faire l’acquisition de tous les dessins au crayon, m’attendant à la Lune.

A ma grande surprise il m’en proposa 15 euros l’ensemble, ce qui défiait toute concurrence, concurrence qui d’ailleurs n’existe pas et dort par conséquent sur ses deux oreilles. Je sortais très satisfait de cette proposition, mais sans lui laisser paraitre que je me serai attendu plutôt à 15 euros l’unité, c’est-à-dire 35 fois le prix offert, puisque le nombre de dessins s’élevait à ce nombre. Enfin, peut-être cette affaire aurait-elle couru plus directement à son but si au moment suprême, où, fort de mon affaire et occupé à rassembler les pièces concernées par notre marché, je m’entendis objecter par mon vendeur, et fin connaisseur, qu’il n’entendait pas dans le prix de la vente les dessins de plus grands formats dont il y avait en effet quelques spécimens.

Lui : – Non je vous avais dit juste les dessins au crayon.

Moi : – Bein les grands aussi sont au crayon.

Lui : – Non je vous avais dit juste ceux au crayon. Euh, les grands sont plus grands que les petits, c’est plus cher !

Jamais malheureusement nous avons pu régler entre nous ce problème de définition du mot « crayon », terme excessivement technique dont l’éclaircissement nécessitera sans doute le recours des meilleurs linguistes et lexicographes. Quoiqu’il en soit et contre 15 euros supplémentaires, je me trouvais content de mettre mon butin à l’abri, si bien que j’en partage en ce jour ces quelques spécimens assortis de modestes commentaires.

 

 

 

Combien j’aurais aimé que ces sujets au lieu de figurer les contrées de l’Ain figurassent Lyon..

Bien sûr, j’ai aisément de quoi me consoler : d’une part de la qualité des œuvres, d’autre part parce que l’ancienneté conciliée à la précision du contenu livre un précieux témoin sur l’évolution des objets représentés dans le recueil.

Ce sont enfin quelques tranches de vie de cet ordre qui viennent magnifier le lot :

Reste à découvrir l’identité du dessinateur dont les initiales « BV » ponctuent la plupart des œuvres et pour lesquelles, je le confesse, mes paresseuses recherches à ce jour n’ont pu aboutir (si seulement l’ouvrage Signatures et monogrammes d’artistes des XIXe et XXe siècles était librement accessible sur Gallica aux pages qui m’intéressent…).

Artiste originaire du Bugey, ou non?

Avis donc au public averti, et affaire à suivre.