Confessions devant la cabane de Baba Yaga
La multiplication des sujets et, avec elle, de récentes exigences de les mener à fond, a produit sur moi de désastreux effets : je n’ai de temps que de commencer de recherches sans jamais trouver celui d’en voir le bout. A Lyon comme à Villeurbanne, été, automne et hiver se sont succédé avec leurs lots de chambardements urbains. Pluies, grêles, flocons, lit de feuilles ou de neige, ont dressé d’ultimes couvertures à tant de vieux toits tombés depuis sans recueillir aucun aveu de ma part.
Le cri du verre a rendu seul sa voix disloquée au bitume sous les pas pressants de l’indifférence. Et pourtant il n’est plus de vitrine ni de lucarne dans la ville dont le reflet ne me rapporte le souvenir boueux d’un de ces bris dont j’avais à scander le dernier mot pour le perpétuer. Tandis que tous ces murs nous faussaient compagnie, tandis que s’élevait en moi le devoir d’en construire la postérité, je croulais, avec eux emporté sous leur poids. Égaré à présent, comme devant autant de chemins inachevés, de chemins qui ne mènent plus nulle part, je repasse et dénombre tous ces anciens alibis d’excursion. En réalité ils sont plus de dix derrière moi, et autant devant.
C’est la cause de ce long silence, d’un silence qui accumule après lui les histoires, leurs mots et leurs images, mais aussi ses mutiques angoisses, des regrets de mutilés, ses douloureuses palinodies, mais sans jamais effacer l’espoir de retrouver la voix qui lui manque pour s’exprimer pleinement, même avec beaucoup de retard. Et me voici de retour enfin, lancé sur les ailes d’un sujet neuf, tellement neuf qu’avant-hier soir encore il n’existait pas. Me revoici, armé de résolutions, un poil avant l’heure convenue pour les formuler.
Quelles sont donc ces résolutions ? Cesser d’ergoter des sujets avec l’obsession de les approfondir pendant des semaines avant de me croire légitime à en parler, en un mot tempérer mes appétits frustrés d’historien ou de faiseur d’images. Car c’est à force de vouloir renseigner dans le détail tous mes sujets que j’en ai omis la vocation du blog : l’alimenter surtout avec l’assiduité du spectateur et du témoin, dans l’actualité des sujets enfin.
A compter d’aujourd’hui donc, je tacherai d’écrire toutes les quinzaines en me fixant de nécessaires limites et nécessaires échéances : à ce titre certains sujets seront creusés, d’autres ne le seront pas. Il faudra bien qu’il en soit ainsi faute de vouloir continuer à se contraindre au silence.
Et j’étrenne cette résolution à la perfection par le présent sujet qui est une supercherie totale par son défaut absolu d’information (et qui n’est pas seulement illustré décemment). J’ignore en effet presque tout du bâtiment comme du projet urbain dans lequel sa démolition s’inscrit, mais par dessus le marché ne disposé-je que de bien vilaines photos à en donner. De cette sorte sans rendre aucunement grâce ni à l’histoire ni à l’art, du moins rendrai-je compte enfin et seulement à mes propres engagements.
C’est en revenant de l’AFAC, association des amoureux du chemin de fer lyonnais, logée dans les ateliers SNCF de la Mouche que j’ai découvert l’état alarmant dans lequel se trouvait cette petite maison de la rue Etienne Jayet, maison que j’avais toujours regardée comme une curiosité.
O étrangeté, comment t’évoquer, t’invoquer, sans associer ton nom à une merveille ou une malédiction issue d’un conte biscornu, maison de sorcière, sorte de masure poussée en pleine ville, peuplée d’ornements naïfs et grossiers, entourée d’une fruste palissade de bois en pleine dégringolade!
Oui, il s’agit d’une minuscule maison blottie au pied d’un grand immeuble de rapport qui lui est presque contemporain, nichée dans un tranquille jardin. Ce qui confère sa singularité à l’édifice tient à divers aspects décoratifs : l’espèce de revêtement en gros carreaux qui anime une partie des parois, par exemple le soubassement de la façade coté rue ou aussi sur la base de la cheminée (que je regrette, Argh, de n’avoir pas prise en photo avant la disparition récente du toit), tout comme le lambrequin courant sous la toiture.
Il manque ici – et j’en ai bien conscience – pour faire justice à mon propos, une vue compète et ensoleillée. Mais à défaut de photo décente et réalisée à temps cet été, à l’heure du soleil, je me vois contraint d’en référer non pas au serviable et chevaleresque Googlemaps, mais au blog Sandrillon in Lyon qui lui a consacré avant moi un billet : Ici.
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Après une succincte consultation des archives en ligne, on ne sera pas surpris d’apprendre que la propriété appartenait aux Jayet, fabricants verriers qui possédaient à Gerland dès le XIXe siècle maints immeubles parmi lesquels leurs usines et ateliers d’exploitation. C’est probablement à l’un de ses rejetons, Etienne, que l’on doit ( au début du XXe siècle) la percée de la rue qui porte aujourd’hui son nom. Sur les plans levés par la Ville la maison semble figurer dès 1937 dans un état proche de celui où on l’observe actuellement. Tout m’incite à croire que son apparence remonte aussi à cette époque puisque un manœuvre d’origine italienne répondant au nom de Minchella y habitait, lui, sa femme et ses huit enfants, qui ont laissé leur nom de famille sur une boite aux lettres, fort stylisée.
Je ne dispose d’aucune certitude sur la branche professionnelle occupée par ce résident, mais certains indices laissent à penser qu’il travaillait non dans la plâtrerie/peinture comme bon nombre de ses compatriotes et contemporains (et comme un parti-pris décoratif si manifeste voudrait le laisser entendre), mais à la Société générale des huiles et Pétrole qui exploitait un site industriel plus au sud dans la rue de Gerland, laquelle rue va être mentionnée tout de suite.
Face à notre maison, jouxtant le jardin : l’arrière de bâtiments à usage de garage qui paraissent promis à une prompte démolition. Ils forment l’angle avec la rue de Gerland où ils dressent leurs façades et portent le N°26. Sur la parcelle se trouvent un petit bâtiment de logement et aussi un long hangar. Au devant, toujours sur la rue et couvertes par un préau métallique, se voient de vieilles pompes à carburants:
Pour ces édifices, il s’agit de bâtiments aux volumes très simples, bien dans le goût des années 50.
A leurs propos, et même sans m’être renseigné, je postule avec le courage de mes opinions que le tout va finir en bouillie incessamment, incrédule et dubitatif quant au fait de le retrouver le mois prochain repeint, pimpant, rafraîchi, sous le logo rutilant d’une nouvelle asso dynamique intitulée: « Vive le patrimoine industriel ! » Mais enfin l’espoir fait vivre et surtout c’est Noël, les cadeaux.
Et j’en reviens ici à ma cabane de sorcière…
J’ai découvert il y a quelques jours que son toit avait disparu. Pour être exact il semble s’être abattu sans grand espoir de retour. Si mon défaut d’enquête n’exclut absolument que ce toit fût de pâte d’amande ou de pain d’épices, et qu’Hansel et Gretel s’en fussent effectivement repus, l’expérience hélas m’incline à former de plus prosaïques et immobilières hypothèses.
Mais, comme à l’appel de mon propos manquent toujours lumières et carillons de Noël, pourtant bien de circonstance, je vais m’essayer aux histoires malgré tout :
Qui donc habitait ici à la fin ? Quelque vieille marâtre cabossée de conte ? Pas sûr. Une lune d’été, m’en revenant de je ne sais où, porté par la tiédeur du soir, j’avisais l’homme tout juste sorti de son logis. Il me couvrit de défiance à cause sans doute de l’intérêt suspect que je manifestais à sa demeure. Mais quand je le gratifiai d’un complaisant : « jolie maison», il me témoigna un frugal mais chaleureux « merci », coupé à la hache de je ne sais plus quel exotique accent, accompagné d’un sourire.
Il s’agit d’un excellent souvenir. Un souvenir si vaporeux qu’il s’en trouve comme réduit à l’état d’impression, un excellent souvenir malgré tout, je tiens à le répéter.