La rue de la Viabert/ Anatole France, au passé.

La rue de la Viabert/ Anatole France, au passé.

En parcourant l’ancien chemin de la Viabert, dépassez le quartier Bellecombe qu’il traverse à Lyon mais faîtes halte avant d’atteindre le Cours de la République. Là, plantez le regard, prenez la mesure du paysage environnant et vous constaterez qu’en dédaignant de vous rendre d’une seule foulée aux Gratte-ciel, c’est-à-dire dans les années trente qui y sont couronnées avec faste, vous aurez immobilisé votre course quelques décennies plus tôt sur la flèche du temps.

Rue Adam, vers la rue Anatole France

Et c’est un égarement heureux.

A cet endroit la ville semble se resserrer dans un pli de la mémoire. Collective mémoire d’un siècle de labeur, à la rencontre des rues Anatole France (ex chemin de la Viabert), Louis Adam, Magenta, Mansard et Bastille, les courtes sections qui buttent sur la rue Dedieu ressemblent aux tranquilles dessertes des ouvriers qui les ont empruntées une dernière fois avant de s’en aller, tous, ou presque. C’est l’un de ces lieux dont le pittoresque ne se regarde que par le miracle de l’industrie, et la plupart des parois solides qui les bordent conservent une mémoire centenaire dont le principe était la pratique de la mécanique : anciens ateliers de construction métallique, garages automobiles dissimulés sous leurs toits en dents de scie et derrière d’imposantes figures de mâchefer.

Vue d’ensemble quartier de la Viabert, usines et sheds

Ce quartier attend avec une sereine ironie la future prescription de préservation patrimoniale dont il doit faire l’objet, car juste au dessus de lui, plus proche sur sa nuque, pèse une épée de Damoclès bien plus assurée d’atteindre sa cible que tout récital de bonnes intentions.

Flétri du malheur d’être né un peu trop tôt et de n’être pas les Gratte-ciel auquel il conduit pourtant fort naturellement, tant du point de vue d’un développement chronologique qu’urbain, il souffre de l’infortune de vivre sous l’ombre du géant. Un géant au pied duquel on fait table rase, croyant sans aucun doute lui rendre une juste célébration dans une politique de manucure tellement corrosive pourtant qu’elle produit son désastre sur les tissus urbains environnants.

Carrefour Magenta et Anatole France en direction de ‘Est

Si le mal ici est déjà commencé il se prolonge aujourd’hui dans la démolition de tout le front bâti situé rue Anatole France, des numéros 37 à 39 séparant les rues Magenta et Louis Adam. Âpre métamorphose que déplorera le quartier de demain.

37 à 45 rue Anatole France à Villeurbanne

Le N° 37 est une maison particulière d’un étage sous greniers. Coté Est se dresse, au numéro 39, un bâtiment industriel blanc attenant dont les lignes sobres ne lui refusent aucun effet d’élégance. Coté Ouest la maison forme un angle comme malgré elle avec la rue Magenta, une dent creuse sur jardin, la façade qu’il précède étant nue et presque aveugle, de surcroît irrégulière avec un bâtiment arrière en enfoncement. Elle semble patienter dans l’arrivée d’un mitoyen qui ne viendra jamais.

Façade aveugle du 37 rue Anatole France, vu coté Magenta

 

Remonter à l’origine de cette maison c’est régresser historiquement jusqu’a la genèse du carrefour qu’elle occupe et l’esquisser de la main. En 1885 Séraphine Emmanuelle Gursez, veuve de  Jean-Marie Marcoz  et propriétaire d’un vaste terrain nu, céda gratuitement à la ville de Villeurbanne la partie nécessaire à la prolongation de la rue Magenta (Chemin vicinal N°34) afin d’établir la liaison avec celle de la Viabert (Chemin vicinal N° 17 et actuelle rue Anatole France), assurer enfin la continuité entre les deux grands axes que sont le Cours Lafayette et le Cours Vitton.

Plan d’alignement de la rue de la Viabert , Archives municipales de Villeurbanne, 1-O-12

Paysage à dominante encore rurale, confiné entre l’ancien domaine de Bellecombe aux mains de la famille Serre, et un réseau de voies encore en gestation, il est occupé par de rares maisons. L’industrie pourtant avait déjà commencé  à y creuser son sillon. Et c’est un développement qui opère comme un gage de peuplement futur. Cette cession d’ailleurs fut conclue contre la garantie municipale d’assurer entretien et remblai de la voie ainsi parachevée, de sorte à la rendre praticable aux voitures entre la rue de la Viabert et le Cours Vitton. Cette mesure de voirie s’accompagne d’une décision municipale d’élargissement du chemin de la Viabert.

Plan de 1891, détail, Archives municipales de Villeurbanne.

Entré dans la voirie vicinale depuis 1887 sous la désignation de N°17, le chemin de la Viabert fait l’objet d’une décision d’élargissement à 12 mètres en 1890. Dans cette portion de rue cet accroissement équivaut à multiplier le chemin par deux en ponctionnant sur son coté gauche et sans réel préjudice contre les propriétaires de terrains vides, quittes de ces nouveaux alignements dans la perte d’une simple haie de clôture.

Ces ensembles d’opérations urbaines valorisantes pour le quartier ne peuvent manquer de profiter à la vénalité des terrains environnants fraîchement délimités par ce nouveau tracé.

Plan, vente parcelle Marcoz à Lattier, Archives départementales du Rhône, 3e 34413 notaire Mathieu

C’est à cette faveur, et à très peu de temps de là, le 8 avril 1891, que la veuve Marcoz  procède à la vente du terrain formant  l’angle Nord-Est du nouveau carrefour. Emmanuel Lattier, marchand de primeurs rue de la fraternité (actuelle rue Louis Adam), voisine, est l’acquéreur de cette parcelle propre à bâtir de 320 m2. La maison, un petit édifice d’un seul étage, s’élève dans la foulée en respect du nouvel alignement prescrit cependant que le jardin, lui, largement étalé en dépassement d’alignement, persiste. On est alors, jusqu’à la substitution du nom de l’écrivain Anatole France, à la portion villeurbannaise de la voie, au numéro 51 de la rue de la Viabert.

Plan d’alignement de la rue de la Viabert en 1891, Archives municipales de Villeurbanne, 1-O-12

Témoin de cette métamorphose urbaine en faveur de l’industrie, le dépôt de tramways des OTL de la rue Alsace est élevé à l’extrême fin du XIXe siècle. Sa façade austère fait face à la maison Lattier à l’angle des rues Magenta et de la Viabert peu avant 1900. Il faut l’évoquer comme marqueur central de l’image du quartier.

Angle Magenta/A France, maison Lattier face au dépôt des OTL

La façade principale de la maison donne sur l’ancienne rue de la Viabert où elle compte trois travées axant la porte d’entrée en son centre flanquée de fenêtres de r-d-c. La porte présente un chambranle traité en bossages avec une clef en pointe de diamant.

Les baies latérales sont, elles, à crossettes et à clefs plates.

 

Les baies à l’étage gagnent en ornementation : disques traités en pointe au dessus des baies, crossettes là encore, petites consoles sous les appuis et banquettes en fonte ornementés dans le goût du XIXe siècle finissant. Les enchants de cette façade enfin sont pourvus d’un faux chaînage (ciment moulé) qui renforce l’unité de la composition.

L’entrée donne sur un couloir qui permet l’accès à l’étage par un escalier en bois.

Ce couloir sépare les deux pièces qui composent ce rez-de-chaussée

L’allée en direction de la porte d’entrée

La pièce de droite abritait un salon comportant des boiseries et une cheminée remontant vraisemblablement à l’époque de la construction de la maison.

Le salon, à droite sur l’allée.

L’ensemble enfin est bâti en mâchefer mais sur un soubassement en béton de gros graviers :

Étrangeté, le jardin de la maison Lattier s’est maintenu jusque dans les années trente, en débordement de l’alignement de 1891, puisque l’acquisition de la portion intéressée n’intervient qu’en 1932 :

A-t-il continué à fournir fruits et ombrages au devant de la maison, avant que le coté Ouest, destiné à accueillir une construction, ne se réserve l’exclusivité d’un tel rôle ?

***

 

Habitée aussitôt par la famille d’Emmanuel Lattier, sa femme Marie-Antoinette Thivollet et leur fille Marie-Blanche, la maison assuma auprès de ses propriétaires une fonction de résidence familiale écourtée par la première guerre mondiale. Dès 1911 en réalité elle était louée à Jean Alamercery, débitant de vins et connu comme second adjoint au maire socialiste Jules Grandclément lequel l’occupa plus de vingt ans en compagnie de sa femme Marie, née La frette, et leur fils Ludovic. Marie La frette y demeura après le décès de son mari en 1934 et jusqu’au sien, survenu dans les années 1940.

La famille Lattier, fit figure de propriétaire entreprenant, et laissa d’autres marques de son séjour dans le quartier, spécialement par le truchement de Blanche, fille unique du couple Thivollet-Lattier. Citons le N° 54 dans cette même rue, situé de l’autre coté de la rue de la Viabert, presque vis-à-vis la petite demeure familiale.

Le N° 54 de la rue Magenta, à gauche, après la petite maison.

Il s’agit d’un ensemble d’immeubles locatifs de quatre étages. Ce bien immobilier dont la construction remonte à 1905 est le fait de Damien Salagnac, époux de Blanche. Cité comme entrepreneur en maçonnerie et ouvrier maçon [2], Salagnac en fut peut-être lui-même l’auteur.

Vue du N° 54 de la rue Magenta depuis la fenêtre du N° 37 de la rue Anatole France

Parfaitement visibles depuis la maison familiale du 37 rue de l’ancienne rue de la Viabert il fut lieu passager de résidence pour le couple marié la même année.

 

Plus spectaculaire, l’immeuble lyonnais du 66 de la rue d’Inkermann (anciennement 32 de la rue) dévoile une figure différente de ce patrimoine avec sa composition chargée.

66 rue d’Inkermann, Lyon.

Bâti à une année d’intervalle seulement et lieu pérenne de résidence pour la famille Lattier-Salagnac, il jouxtait un tènement industriel, aujourd’hui disparu, érigé à son coté et que la famille louait à des industriels[3].

Détail du portail

Cette seconde marque d’investissement dans le foncier est à mettre au compte de Damien Salagnac, mais avec une nuance car, à l’inverse du premier bâti aussitôt revendu sur  terrain fraîchement acquis, ce second immeuble demeura durablement entre les mains de la famille, à titre de résidence.

Mais revenons à la rue Anatole France.

Coté Est, attenant à la maison du 37 rue Anatole France le bâtiment industriel, n’est autre que l’usine des compteurs à gaz de Villeurbanne datée du début des années 50 (et dont je parlerai dans le prochain article).

Ces édifices vont disparaître ensemble. Le rapprochement de deux édifices, que seul un factuel état de mitoyenneté reliait jusqu’à lors, est le propre de la démolition qui est aveugle, unit les choses par paquet tout en ignorant ce qu’elle jette bas. Telles une poule et une chèvre à l’attente devant la fabrique au boudin, ils finiront dans la même assiette. Car la grande pelle qui tient les manettes de la Ville ne reconnait dans son opération que celle à deux chiffres, largeur x longueur, pour un mesquin calcul de rentabilité à la surface au sol.

Sous le regard blessé de ce paysage déchu, fait de bric et broc, certes, mais jeté sur toile dans son meilleur effet, je m’interrogeais sur les autres liens qu’entretenaient alors objectivement deux édifices qu’une conjointe destruction rassemblait à la fosse commune. Rien, peu de chose, un règlement de mitoyenneté intervenu entre les deux propriétaires que furent Marie Blanche Lattier-Salagnac et la Cie des compteurs en 1954 et qui ne m’a rien appris sinon que ladite Marie Blanche habitait de nouveau les lieux.

Rien, jamais, en somme dans ces ingrates archives ne serait de nature à m’éclairer sur l’opinion qu’avait pu bien se faire cette résidente des ouvriers qui passaient tous les matins sous ses fenêtres en se rendant au travail.

Soupirail de cave, araignées et ténèbres

La seconde guerre mondiale arrivée à son terme, Blanche Lattier, veuve (mais depuis la fin du précédant conflit) revint habiter au 37 de la rue Anatole France. Elle était alors âgée de plus de soixante ans. Elle semble y avoir demeuré jusqu’à la vente de la maison à la famille Tissot.

De là, abandonnant mes papiers j’accomplissais un bond qui me ramenait à une période plus récente : le rachat par préemption de la ville en vue d’ajouter son béton à l’édifice, suivi d’un squat au début des années 2000, un bail consenti par la ville devenue propriétaire à une collocation d’artistes (à la fréquentation desquels je dois la plupart des clichés du site), puis squat à nouveau à une période très récente.

Je restai sur ma fin. J’interrogeai alors le voisinage. Sur les recommandations du garagiste de la rue Magenta j’orientais mes investigations vers un ancien du quartier réputé pour fréquenter le café du 25 du Cours de la République à quelques pas d’ici, un certain Jean-Pierre. Je ne l’y trouvais pas.

25 Cours de la République Villeurbanne, élément qui a de l’importance pour la suite de l’histoire

C’est, suivant les recommandations de mon garagiste, que je reportais mes espoirs trompés vers un second témoin potentiel. Avec succès je me mis à la conversation avec Madame C**, une voisine, âgée de près de 90 ans et dont les souvenirs m’ont été précieux.

D’elle-même elle a évoqué le fameux jardin en saillie sur la rue et qui causait ce curieux étranglement de la rue Anatole France. Selon elle sa disparition coïncide exactement avec la construction des canalisations de l’égout situé sous la rue.

Elle y a ajouté tous les détails dont je ne pouvais que déléguer la gouverne à mon imagination : les lilas, les acacias et le troène sur l’autre coté de la maison qui est resté jardin jusqu’à hier. Ce témoignage, même à propos de plantes, domaine dans lequel je n’excelle guère, m’a touché. Et, dois-je dire, il se dégage toujours d’un témoignage concordant avec ses propres déductions, surtout quand celles-ci sont poussées dans des retranchements défiant tout bon sens, un sentiment de satisfaction, en particulier quand la personne qui l’énonce brave hardiment le siècle de son grand âge et que, primesautière, elle laisse aller librement sa bouche au souvenir et à la confidence sans qu’aucune question ne l’y entraîne.

Puis elle a évoqué la maison qu’elle a connue et même fréquentée du temps de son fameux locataire M Alamercery et de sa veuve, où elle jouait. Un grand monsieur qui marchait en sabots et qui, trait plus singulier encore, faisait entrer son cheval par la porte d’entrée principale sur rue Anatole France.

-Je me souviens du bruit qu’il faisait quand il marchait car il mettait des sabots en bois à l’intérieur

-Ah? fis-je, étonné. Et vous m’aviez parlé de bordurettes, de trottoirs dans l’allée de la maison.

-Oui, il y avait une espèce de sol rayé et de chacun des cotés de l’allée de petits trottoirs qui servaient à protéger les murs quand monsieur Alamercery faisait rentrer son cheval.

-Ah, fis-je, de plus en plus étonné, parce qu’il faisait rentrer un cheval par la porte d’entrée ?

-Oui.

-Mais le cheval, il dormait dans la maison ?

-Ah, peut-être au moment de grands froids et des intempéries.

J’avais l’imagination de plus en plus enflammée, et dois-je dire j’essayais de transposer à notre époque ce bouillant élu chaussé de sabots rentrant chez lui presque à cheval, et par la porte d’entrée s’il vous plait alors que la remise aurait pu lui suffire. Je n’y parvins qu’en lui substituant au dessus des épaules, et faute de savoir comment mieux m’y prendre, la tête de Jean-paul Bret ou à la rigueur celle de Richard Llung, à la place de la sienne,  eux qui contrairement à lui pourtant n’ont jamais dormi avec leur cheval. J’ajoutais donc :

-Mais ça vous l’avez vraiment vu ?

-Non, mais c’est sa veuve qui le disait, mais ce n’était pas le genre à raconter des histoires.

-Bon.

Même si j’ignore encore où situer l’exacte vérité sur cette question de cheval, j’ai décidé de lui accorder le bénéfice du doute. Et c’est sans doute aussi à la faveur de la précision des descriptions de ce fameux trottoir qu’elle dénonce encore aujourd’hui comme vive contrariété à son aire de jeu dans l’allée et qui vaut presque un cheval.

Porte de la maison Lattier au 37 et corde à sauter.

J’ai essayé de supputer une nécessité imposant un usage si cavalier à l’entrée (large et propice au demeurant) alors même que celle établie sur l’arrière, coté jardin, paraissait s’y prêter davantage, surtout en considérant que l’accès à la cave à vin y était plus commode. Au reste Madame C** est presque certaine que ces fameuses bordurettes (qui n’existent plus) servaient à faire circuler les tonneaux de vins, prosaïque mais fonctionnelle explication.

J’ai obtenu d’ailleurs maints éclaircissements, assez inespérés, sur l’usage et sur la configuration des lieux.

Jean Alamercery tenait une remise contre cette fameuse façade aveugle de jardin, un simple rez-de chaussée soutenu par des poteaux en bois. Elle couvrait un escalier assez spacieux descendant jusqu’à la cave où était entreposé le vin. Cette cave je l’ai vue mais j’y avais accédé, moi, par un autre escalier situé dans la maison.

La cave, vide, au fond d’anciennes citernes à fuel

Mais, à ce propos, Madame C** donne plusieurs explications qui éclairent d’un nouveau jour ma lecture structurelle des lieux :

La partie arrière, bien visible du jardin,  n’était jadis qu’une sorte d’entrepôt indépendant de la maison à proprement parler, quoique nivelée à elle et parfaitement contemporaine. Elle ne comportait aucun plancher d’étage et n’était nullement assujettie au logement avant l’arrivée de M Tissot, son dernier propriétaire, qui l’aménagea.

M Tissot modifia les lieux en profondeur : l’allée centrale fut tronquée afin d’étendre le salon, tandis qu’on pratiquait entre autres ouvertures l’œil de bœuf qui subsiste aujourd’hui dans le mur de la cuisine (et qui permet d’éviter l’ouverture des volets de la fenêtre sur rue) en profitant du jardin. Et surtout, pour permettre un nouvel accès au plancher de l’étage de la maison (qui s’augmentait de la surface du plancher neuf posé dans le bâtiment arrière, la remise), il éleva l’escalier au bout du couloir.

Madame C** m’a certifié qu’auparavant on accédait à l’étage de la maison par un escalier en bois placé dans la cuisine, c’est-à-dire la pièce tout de suite à gauche en entrant.

Arrivée de l’actuel escalier au 1er étage.

Les lieux étaient par considérablement changés depuis l’époque où Jean Alamercery militait en faveur du socialisme, puis du communisme naissant.

Afin de conclure, elle m’indiqua qu’avant de séjourner en ces lieux, Alamercery, tenait un café Cours de la République. Je découvrais non sans surprise qu’il s’agissait du café où j’avais mis les pieds la veille à la recherche du fameux Jean-Pierre.

Un café Cours de la république? Je commençais à entrevoir les motifs qui pouvaient animer cet adjoint au maire dans sa demande de faire construire un urinoir à l’angle des Cours Emile Zola et de la République exprimée en 1909, et dénichée dans le cahier communal, qui l’avait consignée. La voix de l’ancien tenancier du cours de la République associée à celle du débitant de vin de la rue de la Viabert se fit parfaitement entendre à mes oreilles et comme une pressante et impérieuse envie.

Après un nouveau passage assoiffé audit café et après que j’eusse interrogé le patron dans ce sens-ci, il me sortit les copies d’anciennes photos représentant le café qu’il tenait de son prédécesseur (qui n’était pas Jean Alamercery mais un tenancier plus récent) dont je mets ici un des clichés à disposition :

Pose devant le café du 25 Cours de la République, après l’époque d’Alamercery.

Un adjoint au maire, débitant de vin et tenancier d’un café restaurant dans lequel je me rendais la veille tout à fait par hasard, la machine à remonter le temps n’était décidément pas morte dans ce Villeurbanne des années vingt qui me faisait subitement l’effet d’un village.

Et pendant que j’y suis, j’ajoute que le 25 au Cours de la République, qui compose un front de maisons frappées d’alignement de longue date, est par conséquent en sursis lui aussi. Il l’est d’ailleurs  au même titre que la plaque commémorative qu’il porte et qui indique que Louis Adam (celui-là même qui a donné son nom à la rue qui fait l’angle avec la Rue Anatole France où se tient la fameuse usine des compteurs à gaz), y a vécu.

Plaque commémorant Louis Adam habitant au 25 du Cours de la République, à ne jamais oublier (contrairement à la maison).

C’est triste, me dis-je, comment parmi cette mémoire, bien bouclée, où chaque pan encore solide de l’histoire en se découvrant en appelle à chaque fois à un autre mais pour aussitôt se dérober, dégringoler et déjà foutre le camp.

Ce qu’il restait, il y a peu, du salon..

Adieu donc Alamercery, bientôt ne restera aucun des lieux où tu as séjourné :  ni toit, ni pissotière. Les édiles d’aujourd’hui, ces successeurs plus aveugles qu’Adam et moins socialistes que toi, aux yeux de qui tu n’es qu’un nom, n’avaient sûrement pas le temps de s’intéresser à ton souvenir, tes sabots, ton cheval.

Et puis, comment dire, la maison de Lazare Goujon, maire après Grandclément et père devant Gratte-ciel, lequel était autrement connu, elle-même a fait l’épreuve de la moulinette (et c’était Cours de la république également), alors ta maison….

On ne passe plus le balai ici mais la pelle..

 

Le temps était encore fort clair quand je repassais songeur devant ce jardin, suspendu au bord du gouffre, un jardin où des générations de gamins s’étaient succédé dans le jeu.

 

En prenant congé de Madame S**, il m’a semblé en me tournant une toute dernière fois sur la petite maison me découvrir l’étonnante ressource de la considérer d’un œil plus neuf que la veille : après celle de la veuve Marcoz, celle de la veuve Lattier, celle de la veuve Alamercery, celle de la veuve Salagnac, je ne m’en croyais plus capable, tiens.

Puis, tandis que s’annonçait la pluie, j’ai été envahi d’une indéfinissable mélancolie qui m’est montée comme une envie de pleurer.

Après le passage des artistes, contremarche de l’escalier annotée.

[1] http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article90271

[2] Il existe avant lui, à Lyon, des maçons du patronyme de Salagnac, et après lui l’architecte Marcel-Charles-Xavier Salagnac (1910-1995), dont plusieurs fonds ont été constitués notamment aux ADR qui laissent supposer l’un et l’autre une filiation.

[3] Folliet & Gachet

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